Wwoof autour du monde

C'est l'histoire d'une journaliste qui va se nettoyer les neurones durant un an en faisant du wwoofing autour du monde.

Pour ceux qui ne connaissent pas, wwoofing: willing workers on organic farms, c'est-à-dire aider des agriculteurs bio et en échange être logé et nourri.

Pourquoi du wwoofing? Parce qu'il combine tout ce que j'aime: la nature, le grand air - ah, les mains dans la terre, finir sa journée crottée - les voyages, les rencontres... Et surtout, je n'avais pas envie de "voyager pour voyager", mais trouver un fil conducteur et apporter ma petite contribution à une autre façon d'envisager notre monde.

Attention! Ce n'est pas un travail journalistique que je fais ici, je ne prétends pas à l'exactitude, mais au partage de ce que je vis. Pour le plaisir, simplement...

mercredi 29 juillet 2015

Sonny, fabuleux conteur


Etre à Debaj, sur l'île de Manitoulin, c’est une chance unique de découvrir – du moins un petit peu – un pan de la culture amérindienne.  Cela a commencé dès le premier soir, lorsque Ashley Manitowabi est venu me chercher à ma descente du bus à Espanola. Tandis que ses filles Hope (Espoir) et Patience gazouillaient à l’arrière de la voiture en chemin vers la ville de Manitowaning, il m’a parlé de l’origine du mot « Canada ». Le vrai nom est Kini Endwat « la maison de tous » en mohawk, et les Britanniques l’ont transformé en Canada. Il m’a aussi parlé des trois peuples natifs de l’île, les Ojibway, les Odawa (qui ont donné leur nom à la capitale Ottawa) et les Potawotami, qui forment la confédération des Trois feux. Nous avons aussi longé un lac où il m’a dit se trouver le Rocher des rêves, où les gens allaient jeuner pour avoir des visions. Aujourd’hui encore, ils vont y jeuner. Ont-ils des visions ? Je ne sais…


Debajehmujig, les conteurs. Parmi ceux-ci, il y a Sonny, un fantastique conteur. Pas comme on pourrait l’imaginer, version « vieux sage indien et méditatif », même si ses longs cheveux sont retenus par un bandeau comme chez les Navajos. Au contraire. Il raconte comme on parle entre potes, et ajoute une pointe d’ironie savoureuse. Durant plus de deux heures, il m’a raconté l’histoire des nations indiennes, et quelques unes des légendes. J’ai d’abord voulu prendre des notes – réflexe de journaliste – et puis j’ai arrêté, pour simplement m’imbiber de tout ce qu’il me contait… Je retransmets autant que je le peux ce qu'il m'a dit, mais on me pardonnera d'éventuelles erreurs...

Histoire des Amérindiens


Est-elle vraie, tient-elle plus de la mythologie ? Je ne sais pas, je me contenterai de rapporter ce que Sonny m’a dit. L’origine des Amérindiens se découpe en sept histoires, et la septième, celle qu’il m’a contée, remonte à 20 000 ans. Existait alors, à l’endroit actuel de Saint-Louis dans le Missouri, une civilisation – une cité ? – nommée Kahila, si grande qu’il fallait «marcher sept jours et sept nuit pour aller d’une extrémité à l’autre ». Qui dit civilisation dit organisation ; l’organisation est devenue hiérarchie, et peu à peu deux classes sont nées, les maîtres et les esclaves.


Un jour, les esclaves ont décidé que cela suffisait et sont partis – c’est « la Grande migration » - et se sont dispersés en plusieurs directions, les uns donnant naissance aux Maya, Toltèques, etc, les autres au Inuits, les autres aux nations de la côté Ouest, et les derniers enfin se sont eux-mêmes scindés au fil du temps entre les différentes nations amérindiennes . Quant aux maîtres, n’ayant plus personne pour les servir, ils sont morts de faim. Belle allégorie pour rappeler qu’oppresser les uns amène un jour ou l’autre à la catastrophe...


Et l’île de Manitoulin dans tout ça ? Pour les uns, elle est le lieu de la création du monde, pour les autres, elle est le lieu qu’a choisi Gitchi Manitou pour vivre, ce qui est certain, c'est que des traces d’habitation de plus de 3000 ans y ont été trouvées.


Sonny m'a conté les légendes à l'aide d'une carte représentant le rocher des pétroglyphes de Peterborough, un immense rocher avec plus de 900 figures gravées par les Algonquins il y a environ 3000 ans. Les Premières Nations l'appellent Kinomagewapkong, le rocher qui enseigne.
Le rocher des pétroglyphes de Peterborough.


Gitchi Manitou

Dans la religion amérindienne,  les esprits sacrés sont des « Manitou », dont le plus important est Gitchi Manitou, le « Grand Esprit ». Dans les religions monothéistes, Dieu est masculin, et en général représenté avec une barbe (on se demande bien pourquoi, d'ailleurs...). Pour les Amérindiens,  cela n’a aucun sens, l’esprit suprême ne peut pas avoir de genre, il ne peut ni être homme, ni être femme, c’est pourquoi il est représenté comme une sorte de brume, et on ne parle jamais de « lui » ou « elle », mais de Gitchi Manitou.

Les quatre enseignements

Les quatre grands enseignements de la vie sont :
« Regarde les oiseaux et apprends ; regarde les mammifères et apprends ; regarde les poissons et apprends ; regarde les plantes et apprends. »
Dans le même esprit, pour enseigner comment élever ses enfants, « regarde les loups et apprends ».

Equilibre

Nous sommes constitués de trois êtres, l’être émotionnel, l’être spirituel, et l’être physique. Les trois ne peuvent se développer harmonieusement que si nos quatre besoins primordiaux sont respectés : bon air, bonne nourriture, bonne eau, et bon abri. S’ils ne sont pas respectés, notre être physique sera malade, et ne pourra permettre à notre être émotionnel et notre être spirituel de s’épanouir.

Les trois temps de la vie

Les Amérindiens reconnaissent trois temps de la vie : le jour et la nuit -  les cycles de la lune – le quatre saisons. Et leur année commence au printemps.


La légende du chipmunk

Un jour, Gitchi Manitou a rassemblé des chipmunks et leur a dit d’aller dans la forêt pour se trouver. Un petit chipmunk est alors arrivé, tout enthousiaste, et a demandé s’il pouvait le faire aussi. Gitchi Manitou lui a dit qu’il pouvait, et le petit chipmunk a filé vers la forêt. Au bout d’un certain temps, il est revenu tout penaud : « Je ne me suis pas trouvé, et pourtant ‘ai cherché partout, sous chaque buisson, dans chaque creux dans un tronc d’arbre… » Gitchi Manitou lui a alors dit de fermer les yeux. Le petit chipmunk a fermé les yeux : « Mais je ne vois plus rien ! » « Tu t’es trouvé… », lui a répondu Gitchi Manitou.


La légende du chêne

Pour moi, la plus belle légende est celle du chêne. Le chêne représente nous –même. L’arbre vit grâce à ses racines plantées dans le sol ; ces racines représentent notre passé, notre histoire. Dans ces racines de notre passé, il y a de bonnes choses, de moins bonnes choses,  et des choses carrément mauvaises. Mais c’est notre histoire, et toutes font de nous ce que nous sommes. Souvent, on tente de rejeter les mauvaises choses, on se dit « Si j’avais fait ceci » « Si cela s’était passé ainsi », mais en agissant ainsi, on se met dans le déni, et on ne permet pas à l’arbre de pousser correctement. Pour que l’arbre vive, nous devons accepter chacune de nos racines, y compris les mauvaises.


La légende du chêne suit également le cours de l’année, et chaque saison correspond à un temps dans notre vie.
-          En hiver, il n’y a que le tronc et les racines ; ceci est notre vrai « moi ».
-          Au début du printemps, les bourgeons apparaissent, c’est le temps de la prise de conscience de soi, et le moment où l’ego se fait jour : « Regardez, je suis là ! »
-          Lorsque les beaux jours arrivent, les feuilles grandissent, deviennent vertes, c’est le temps de l’accumulation, où l’ego engrange : « Regardez comme je suis beau ! » Mais en même temps, ces feuilles cachent le tronc, le vrai moi.
-          Quand les fruits sont à maturité, vient le temps du partage ; là aussi notre ego est content, il est content de donner et de montrer qu’il donne.
-          Quand l’automne arrive, et que les feuilles changent de couleur, c’est le temps où l’on apprend, le temps du savoir. L’ego est heureux d’apprendre.
-          Quand les feuilles tombent, vient le temps de la compréhension. Deux temps très différents :  durant le temps du savoir, on « sait » les choses, ce temps peut s’exprimer per des mots ; durant le temps de la compréhension, on les « ressent » ; ce temps ne peut s’exprimer par des mots.
-          Lorsque l’hiver revient, et qu’il n’y a plus que le tronc et la racines, c’est de nouveau le vrai « moi » qui est là, et c’est le temps de la sagesse. La sagesse, c’est accepter tout ce qui constitue notre « moi », le bon comme le mauvais, « car pour pouvoir se pardonner, il faut d’abord s’accepter… »


Si chacun de nous pouvait garder cette légende dans son cœur et ses tripes… Je sais en tout cas que lorsque Sonny me l’a racontée, mes larmes ont coulé et j’avais la gorge nouée. S’accepter pour pouvoir se pardonner… Et maintenant encore, alors que je l’écris, l’émotion est là…



lundi 27 juillet 2015

Debajehmujig, les conteurs

Voyons, comment décrire cette première semaine sur l’île de Manitoulin, ma troisième étape sur mon chemin de wwoofeuse ? Une succession de moments passionnants et de désoeuvrement, comme des montagnes russes de l’humeur. Moments passionnants lorsque j’apprends, je m’abreuve, de la culture amérindienne, son histoire, ses légendes, que j’entends les récits sur l’hiver canadien par – 40 °, ou que, tout simplement, je partage des moments avec les gens d’ici ; désoeuvrement lorsque je tourne en rond en me demandant ce que je peux faire. Ce ne sera sans doute pas la seule fois que je vivrai cela durant  mon année de wwoofing… Car c’est finalement le  lot de tout travail, qu’il soit payé ou bénévole, surtout quand, comme moi, on débarque pour, finalement, peu de temps, quelques semaines. A peine a-t-on intégré tous les tenants et les aboutissants qu’on doit reprendre la route…


Me voici donc sur la plus grande île en eau douce au monde, l’île de Manitoulin, au nord du lac Huron. Manitoulin, l’île de Manitou, terre de trois tribus amériendiennes, les Ojibway, les Odawa – qui ont donné leur nom à la capitale du Canada, Ottawa – et les Potawatami. Une île qui ressemble à une poupée russe : dans l’île se trouvent des lacs – dont le lac Manitou – lesquels ont des îles, lesquelles peuvent avoir elles aussi des lacs…

Paysage représentatif de la partie est de l'île, où se trouve Manitowaning (photo prise sur le net). 

Et dans cette île, je suis à Manitowaning – « là où un esprit vit dans l’eau » - au sein de la compagnie de théâtre Debajehmujig – « les conteurs » en ojibway – la plus ancienne compagnie de théâtre amérindienne en activité de l’Amérique du Nord et la seule troupe professionnelle située dans une réserve. Fondée en 1984, elle est en effet gérée par la communauté de la réserve de Wikwemigong (plus communément appelée « Wiki »), de l’autre côté de la baie, mais les locaux sont à Manitowaning, hors de la réserve, pour des raisons pratiques et administratives. Nombre de comédiens amérindiens réputés sont passés par Debaj (tout le monde l’appelle ainsi) ou y ont fait leurs premières armes. Surfer: www.debaj.ca
Le hall de Debaj est orné d'images des membres du conseil d'administration qui se sont succédé au fil des ans. 

Global Savages est la dernière pièce de la troupe et a été présentée en tournée en Amérique du Nord et en Europe. Je la verrai samedi prochain lorsqu'elle sera jouée au pow wow de Wikwemikong.


Son directeur artistique actuel est Joe Osawabine, et la direction générale est assurée par Ron Berti et sa femme Joanna depuis 1993. Originaires de Toronto, ils ont tout quitté alors étudiants pour aller vivre dans le nord de l’Ontario. « Au départ, j’étais venu dans la région pour quelques semaines pour un projet artistique, se souvient Ron, mais quand je suis arrivé, j’ai su que je ne voulais plus retourner en ville. J’y ai ressenti un bien-être, une paix, incroyables. J’ai appelé Joanna – nous n’étions pas encore mariés à l’époque - pour lui dire que je ne rentrais pas à Toronto, elle m’a dit « Banco, je viens aussi ! », et on s’est mariés ici. »

Culture et questionnements


Debaj veut être un pont entre les « natives » (ou « first nations ») -, les Amérindiens -  et les « non  natives », les descendants des pionniers.  Y travaillent donc des personnes des deux bords, mais, comme me l’explique Ron, « travailler sur la culture n’est pas toujours facile ; il y a toujours un moment où on arrive aux questionnements, aux « pourquoi », au présent qui porte le poids du passé, et aux malentendus. » Et c’est vrai que, les rares fois où des interlocuteurs canadiens ont eu à me parler des Amérindiens, c’était de façon très évasive, ou pour me parler, avec une pointe d’amertume, des exemptions de taxes pour les natives. D’un autre côté, « L’Indien » avec ses plumes, son teepee et son totem (une tradition pourtant spécifique aux tribus de la côte pacifique) est partout présent, surtout dès qu’il s’agit de tourisme.


Mais cette schizophrénie n’est pas l’apanage de l’Amérique du Nord, nous l’avons tous chez nous, y compris en Europe, il suffit de voir le mythe du gitan ( surtout de la gitane, d’ailleurs) et nos relations avec les Roms actuels. Lors de mon séjour, j'ai en tout cas pu découvrir un sujet qui fait polémique au Canada, les "Missing women",  ces millier d'Amérindiennes obligées de se prostituer et disparues ou tuées depuis vingt ans. Debaj en a fait le sujet de son "show de 7 minutes" hebdomadaire.




Bref, tout cela pour dire que le travail sur les culture ayant ses limites, Debaj s’est lancé il y a quelques années dans un thème plus fédérateur, l’environnement et un de ses corollaires directs, la nourriture. Explication de Ron : « Quelles que soient les idées et opinions de chacun, nous avons tous un même besoin, celui de vivre dans un environnement vivable. Or, la culture amérindienne a toujours vécu dans le respect de la nature ; en travaillant sur ce thème, nous pouvons plus facilement rassembler les gens. »

Et c’est là que les wwoofers entrent en piste. Debaj a créé un jardin, où l’on cultive les légumes pour le repas en commun de chaque midi pour la quinzaine de salariés et tous ceux présents pour telle ou telle chose. Nous nous occupons donc du jardin, avec l’ajout en ce moment de jeunes de Wiki en stage de découverte du théâtre. Nous préparons le repas de midi (environ 25 personnes), entretenons et nettoyons les lieux, etc.

A part moi, il y a actuellement Felix, d’Allemagne, ici depuis novembre et présent pour un  temps indéterminé, Patrick, dit Patches, anglais, et Simon, belge, ici pour deux ou trois mois, Steve, canadien,  que je n’ai pas encore rencontré car il a pris quelques jours pour retourner à Toronto. Tout ce petit groupe est sous la houlette de Sam, canadienne ; venue wwoofer ici, elle n’est jamais repartie et est désormais « interne » ici.

Les wwoofers partagent un appartement, et c’est ma première expérience de plongée totale dans l’univers typique des wwoofers, si l’on peut dire : un logement partagé par des jeunes de vingt ans, et moi qui arrive avec le double de leur âge… Ils ont fait une drôle de tête quand ils m’ont vue arriver! Mais finalement, cela se passe bien. Le bordel ambiant, les canettes de bière partout, et l’ignorance de ce qui signifie le mot « nettoyer » ne me gênent pas plus que cela ; et leur addiction aux jeux vidéos non plus, je bosse sur mon ordi pendant ce temps-là. Et on papote ; avec ce côté parfois surréaliste quand je parle avec Simon : la règle tacite est de parler anglais en permanence, et même si Simon est bruxellois et francophone, nous parlons anglais ensemble. Les premiers jours, cela me semblait artificiel, et puis maintenant, c’est bon !



Voilà pour les premières nouvelles de Debaj…

samedi 25 juillet 2015

Deer Lake lodge pour le plaisir

Juste pour le plaisir, quelques souvenirs de Deer Lake lodge






Micro-brasserie Highland brewerie à South River.









Jeux de lumière dans la grange.

mardi 21 juillet 2015

Dernières histoires de Deer Lake lodge




Meurtres en série


Au fil des jours à Deer lake lodge, je suis devenue une meurtrière en série avec un plaisir incroyable ! En effet, en été au Canada, on n’est jamais seul. On est en permanence entouré par des habitants qui nous aiment beaucoup, vraiment beaucoup : moustiques, taons et autres mouches noires. Dans la journée, ce sont plutôt les mouches noires (qui mordent) et les taons. L’avantage avec les taons canadiens, c’est qu’ils sont tellement idiots (ou goinfres ?) qu’ils ne se rendent même pas compte qu’une main vengeresse s’avance pour leur filer un bon coup entre les antennes. Et paf ! Un en moins. Et repaf ! Un autre en moins, le bonheur… L’autre avantage des taons d’ici, c’est que l’effet douloureux de leur morsure ne dure pas, et qu’on s’habitue assez vite.

Les moustiques, en revanche, ça c’est autre chose… Dans la journée, ils sont déjà là, et dès que le soir arrive, c’est l’enfer. Un nuage vrombissant plonge sur vous, et il est éminemment frustrant de ne pas pouvoir savourer  la douceur du soir sur la galerie de Deer lake lodge… Même les répulsifs n’y suffisent pas, les moustiques trouvent toujours le millimètre carré de peau qui n’en a pas eu ; les serpentins qu’on brûle (tous les voyageurs de pays à moustiques connaissent ces fameux serpentins verts) n’ont pas eu plus d’effet. La seule issue était d’être à l’intérieur, privée de ces moments de calme, lorsque le jour cède la place à la nuit…

Heureusement, pour travailler la journée dans le jardin, j’ai trouvé mon arme magique ! Les country guêtres ! Inventées par une jeune créatrice de Sélestat, Belle Lurette et compagnie (allez voir sa page sur facebook : belleluretteetcie), elles se révèlent être d’une efficacité redoutable. Avec elles, je peux travailler en short tout en gardant à l’abri mes mollets et mes chevilles, les endroits les plus exposés. Et en plus, avec leurs couleurs bourrées d’humour, cela a un petit côté top model très élégant…



Sans les guêtres...

Avec les guêtres. Ou comment jardiner en toute tranquillté et avec élégance...


Ma cabane au Canada (bis)


J’en avais déjà parlé, Jon et Megan en sont encore au début de leur projet de chambre d’hôtes, et pour le financer, ils travaillent par ailleurs. Jon ayant travaillé durant une quinzaine d’années en Colombie britannique dans la construction de bâtiments en rondins, il réalise actuellement une cabane pour un client. Deux étages, deux chambres, deux salles de bain, un salon en loft, un balcon… Mis à part le fait qu’il n’a pas coupé lui-même les arbres, il fait tout le reste. Son oncle Dave vient l’aider ; au printemps ils ont écorcé les troncs puis les ont entièrement poncés. Ils s’attaquent maintenant à la construction elle-même, avec la découpe et l’assemblage des rondins, une tonne chacun. Jon espère finir dans quelques mois, il leur faudra ensuite démonter la cabane pour la remonter chez le client.

Après avoir poncé chaque rondin au printemps, Jon et Dave ont commencé il y a quelques jours leur découpe et leur assemblage.

Ma cabane au Canada (ter)


Il est des petites choses dans Deer Lake lodge que sans doute peu de maisons en Europe possèdent, ou du moins pas à ma connaissance. Les amateurs de bière apprécieront certainement l’ouvre-bouteille accroché sur le pilier de l’escalier, un aménagement que l’on trouve dans toutes les vieilles habitations du pays, m’indique Joël, de Toronto, venu avec sa femme Sheila passer trois jours de vacances à Deer Lake lodge. Un air à la Woody Allen, Joël est un amoureux de la littérature en général, et française en particulier, ce qui permet un soir un échange de points de vue sur Eric-Emmanuel Schmitt, entre autres. 
Démonstration de l'ouvre-bouteille "maison" par Joel.


Autre petit trésor de la maison, un trou dans l’escalier provoqué par un coup de fusil tiré jadis par les chasseurs en villégiature dans le lodge contre… un écureuil. Cela ne plaisantait pas, à l’époque… Ou encore, ces anciens pots en verre, dont le couvercle rappelle que le Canada fait partie du Commonwealth et est toujours sous l’autorité de la couronne britannique.
Rule Brtiannia...


Le son du plongeon

Enfin, je ne peux terminer mon récit de mes deux semaines à Deer lake lodge sans évoquer un son que tout visiteur du Canada devrait entendre au moins une fois tellement il est beau,  celui du loone, le plongeon huard en français. Cet oiseau pêcheur est représenté sur les pièces de un dollar canadien, et les couples  se forment pour la vie. La première fois que je l’ai entendu, c’était un soir de baignade avec Megan après avoir été mettre le foin dans la grange chez sa mère, Dale. Nostalgique, presque plaintif, il vous donne la chair de poule d’émotion. Et je crois que c’est ce moment comme suspendu hors du temps que j’ai envie de garder en mémoire… 




lundi 20 juillet 2015

Canoë chez les Algonquins




Au même titre qu’on pourrait dire des Suisses qu’ils naissent tous avec des skis aux pieds, on peut dire des habitants de l’Ontario (tout comme d’une bonne partie du Canada, d’ailleurs) qu’ils sont nés avec un canoë et une pagaie à la main.  Les lacs et rivières sont partout, de toutes les tailles possibles. Avec Megan (et Bruce le berger allemand, grand adepte de ces sorties), nous sommes allées faire une randonnée an canoë au parc Algonquin, une petite randonnée puisqu’elle n’était que pour la journée ; les gens partent souvent pour deux ou trois jours et campent.


Photo prise par Megan. Et ceci n'est qu'un tout petit lac à l'échelle de l'Ontario...



Incroyable, un loup qui traverse la rivière devant moi! Zut, non, c'est Bruce...



Huit heures de pagayage aller – retour, et ceci n’était donc qu’une toute petite partie du parc. Jon m’a expliqué qu’on peut randonner en canoë durant deux ans dans le parc sans jamais faire le même parcours…  Le lac, la rivière et ses méandres au milieu de résineux à perte de vue… et les portages lorsque la rivière est infranchissable. Gloups… Surprise, c’est en fait  très facile de porter seule un canoë !  Le plus difficile est de le placer, puis de le reposer à la fin, mais le portage en lui-même est facile : une traverse creusée s’adapte autour des épaules, il suffit de trouver ensuite le bon équilibre pour que le bateau ne penche ni à l’avant ni à l’arrière, et c’est bon ! 



Huit heures fantastiques, entre pagayages, confidences, rires, bronzage sur une magnifique petite ile, et Bruce qui faisait tanguer le canoë  chaque fois qu’il changeait de position ou qu’il reniflait quelque chose sur la berge…  Loin de tout, mais avec tout le confort : le rocher sur l’île où nous avons accosté étant un lieu de bivouac, si l’on a besoin de satisfaire une envie pressante, il suffit de s’enfoncer un peu dans les bois pour trouver des toilettes sèches à ciel ouvert. Vue imprenable pour l’utilisateur…  

Endroit rêvé pour un bivouac.

Les toilettes...

Et la vue depuis les toilettes. Imprenable.


Sur le chemin vers le lac, nous sommes passées non loin d’un ancien camp de prisonniers de guerre allemands de la Seconde Guerre mondiale. Longtemps oublié, il a été « redécouvert » récemment.  un petit pan méconnu de l’histoire s’est ainsi offert à moi…

samedi 18 juillet 2015

Des animaux et des hommes



Ah, le plaisir de pouvoir parler plusieurs langues… Parce que le wwoofing, c’est bien sûr participer au travail dans des fermes, mais c’est aussi vivre avec les gens du pays.  Et quand on peut partager leurs conversations, c’est  mille fois plus enrichissant que toutes les visites de musées réunies. En l’espace de quelques jours à Deer Lake lodge j’ai entendu de sacrées histoires ! Entre autres des récits où la nature sauvage s’invite, histoire de  vous rappeler qu’au Canada, pays immense, elle n’est jamais loin de vous… 

 

Dale, les chevaux et les skunks


Prenons par exemple Dale, la mère de Megan. Naturaliste, cavalière experte, quand on la voit, on sait qu’elle est faite pour le grand air et la nature : pas très grande, costaud, la démarche chaloupée des cavaliers… Enceinte de Megan, elle a continué à monter ses chevaux jusqu’à son 8e mois de grossesse, et elle a remis les fesses sur une selle six semaines après l’accouchement.

Son boulot de naturaliste pour un institut de conservation de la faune sauvage la conduisant à vivre dans la forêt une grande partie de son temps, elle avait bricolé un van pour que Megan et son frère Brandon puissent dormir pendant ses heures d’observation.  Mais il n’y a pas que la faune sauvage qu’il lui fallait observer… Elle a dû aussi passer des heures nocturnes à traquer les braconniers : avec un collègue, ils devaient jouer les amoureux dans une voiture, pour pouvoir ainsi repérer les va-et-vient des braconniers. Le problème étant que les deux n’ayant pas d’atome crochu,  ils n’avaient rien à se dire.  Les heures pouvaient passer très lentement…


Naturaliste au Canada, c’est aussi faire des rencontres avec un des hôtes les plus redoutés de la forêt, j’ai nommé Pepe le Pew (clin d’œil aux amoureux des dessins animés de Tex Avery), la moufette – ou skunk. Ce mignon petit bestiaud noir et blanc, si vous l’approchez trop, vous envoit une giclée de l’odeur la plus infecte qui puisse exister. Il faudra qu’on m’explique pourquoi Tex Avery a choisi de faire de Pepe le Pew un digne représentant de la France. Serait-ce parce que durant longtemps, les Français ont eu, auprès des Américains, la réputation de ne pas se laver très souvent ????


Bref, Dale a expérimenté les skunks cinq ou six fois. Une bonne chose : une fois que l’animal a déchargé, il lui faut plusieurs semaines pour recharger ses batteries. La moins bonne, c’est qu’il faut plusieurs semaines également pour se débarrasser de l’odeur.  « Se laver ne sert à rien, car l’odeur remonte à la surface de la peau », m’indique Dale. Et d’après son expérience, même le jus de tomate (sensé être le seul liquide capable d’éliminer l’odeur) est inefficace. D’où des moments assez intéressants, telle une soirée avec des amis où ceux-ci l’ont soigneusement évitée… Il semblerait que le mélange vinaigre – bicarbonate de soude marche bien ; comme quoi, les bons vieux remèdes de nos grands-mères, il n’y a que ça de vrai...

Femme des bois, Dale vit dans une cabane construite pas son ex-mari, avec son chien, ses chats, ses chevaux, et feu ses dindes. Une meute de loups vit en effet dans le coin et, même si en général la cohabitation se passe bien, ils ont une nuit réussi à défoncer la porte du poulailler à coup de crocs et ont fait un festin avec les dindes. 


Parfois, la nuit elle peut les entendre hurler à la lune. Wouaouhhhhhhh, entendre des loups hurler, le rêve ! Dale m’a promis que si elle les entendait durant mon séjour, elle passerait un coup de fil à Megan pour que je puisse aller chez elle assister au concert. Mais la nature, c’est comme la légion romaine chez Astérix en Corse : il suffit qu’on veuille une chose pour qu’elle ne se produise pas. Il ne m’a pas été donné d’entendre le concert des loups.



John, Mary et les loups


J’ai aussi eu la chance de rencontrer « Les » spécialistes canadiens du loup, John et Mary Tiberge. On a passé une soirée passionnante chez Jon et Megan à écouter leurs histoires. Les journées passées au fond des bois, les heures d’observation en silence, immobiles et environnés d’un nuage de moustiques – interdit d’utiliser des produits répulsifs sous peine d’être repérés par les loups -  tandis que leurs deux filles, qui les ont accompagnés dès leur plus jeune âge, avaient pour passe-temps d’écraser les moustiques qui se posaient sur elles. L’expérience ne les a manifestement pas traumatisées, l’une d’elle étudie les ours.


John et Mary ont particulièrement travaillé sur les loups du parc Algonquin, un parc aussi grand que le parc de Yellowstone, à deux pas de South River. Au début des années 70, les hurlements de loups qu’ils y ont enregistrés ont attiré l’attention d’un producteur, qui en a fait un disque, dont les commentaires étaient dits par Robert Redford. Début des années 70, c’est-à-dire moment où l’acteur était une des plus grandes stars du cinéma, avoir sa participation, ce n’était pas rien… On ne sait pas si Redford a été payé pour sa participation, mais ce qui est sûr, c’est que John et Mary attendent toujours d’être payés pour la leur ! Cela dit cela ne les gêne pas plus que ça, leur objectif dans la vie n’est pas d’être riches mais de faire connaître et aimer les loups.


Objectif pas gagné : le couple a prudemment préféré mettre sur sa boite aux lettres un autre nom de famille que le leur, trop connoté « amis des loups », et par exemple, dans certains coins des USA où ils ont travaillé (ils ont participé au programme de réintroduction des loups dans le parc de Yellowstone), le centre d’étude des loups était une caravane totalement anonyme afin d’éviter les problèmes avec les habitants.


Ils ont aussi connu des moments assez mémorables, comme ces journées où ils se sont retrouvés coincés dans leur cabane, incapables de la quitter car deux ours avaient décidé de rester dans les parages, rejoints ensuite par un troisième. Or, autant côtoyer des loups ne leur faisait pas peur (lorsqu’ils flairent un humain, ils préfèrent s’éloigner), autant l’ours, c’est une autre histoire ; même si son allure donnerait envie de le gratouiller entre les oreilles, mieux vaut en rester là quant à nos rêves d'enfant autour de nounours. Car, contrairement au loup, l'ours, lui n’a pas peur, et prendre la fuite ne sert à rien : malgré son air pataud, il court aussi vite qu’un cheval au galop, pas longtemps certes, mais assez pour vous attraper.


Histoire d'ours


Megan, a eu ainsi la frousse de sa vie quand, enfant, elle a voulu aller dans un pré retrouver son chien, un grand berger noir, lorsqu'elle a soudain vu son chien se dresser sur ses pattes arrières, immense. Ce qu'elle avait pris pour son chien était un ours... Jon, lui, durant ses années à travailler en Colombie britannique dans la construction de bâtiments en rondins, a pu de nombreuses fois assister au festin des grizzlys lorsque les saumons remontent les rivières pour pondre. La rapidité des coups de patte et la taille des dents étaient impressionnantes...


Pat, un ami de Jon et Megan, a aussi eu droit à une rencontre assez spéciale. Le jeune homme raconte la fois où, étant allé camper avec son canoë, il était occupé à préparer son repas, lorsqu’il a entendu, derrière lui, le son caractéristique de quelqu’un reniflant une odeur appétissante. Il s’est retourné et s’est trouvé face à face avec un ours. Il a pris la fuite et a dû assister au spectacle de l’ours engloutissant son repas ; l’animal n’a même pas été gêné par l’huile brulante, trempant  sa patte dans la casserole pour la lécher avant de repartir repus. Ce jour-là, Pat a jeûné. Mais au moins, il est vivant.